Je préfère vivre mes rêves,
plutôt que de rêver ma vie.
Bandhavgarh
Mai



J'avais quitté le parc de Bandhavgarh, fin mars.




J'avais eu la chance d'y rencontrer Amanala et ses petits.
Deux autres tigresses avait également des jeunes.
Il était essentiel pour moi, de revenir dès que possible, les jeunes tigres grandissent si vite, et c'est tellement difficile de les voir si jeunes.
Un mois et demi plus tard, j'étais de retour à Bandhavgarh.

Plein d'espoir, j'avais en tête de photographier les portées des 3 tigresses avec des jeunes en bas âge.

Amanala, dont les 3 petits ont à présent 5 mois et demi
Jhurjhura et ses 3 petits de 5 mois
Mirchani et sa 1ère portée de 2 petits âgés de 9 mois

J'avais également l'espoir de voir enfin les jeunes de Mahaman, la tigresse "stérile".
Ce serait un sacré challenge et aussi une grande joie pour moi, de voir cette famille réunie. Cette tigresse est en effet très farouche et de plus c'est sa 1ère portée.

C'est également le 1er tigre que j'ai vu et ça, ça ne s'oublie pas.

Tout celà n'allait pas être simple. Je dirais même que ça serait très, très difficile.


A l'heure où vous lirez ces lignes, je serais sûrement posté près d'un point d'eau, à guetter l'instant magique. Ou peut-être bien, serais-je avec Paphu, mon guide, en train de sillonner les pistes poussiéreuses du parc sous une chaleur torride (45°).

Mais quoiqu'il en soit, je serais sur le territoire de Dithoo, en train d'écrire les nouvelles pages de ce carnet.


J'arrive donc à Bandhavgarh, et autant le dire tout de suite, rien n'allait se passer comme prévu...

Le soir de mon arrivée, j'échangeais rapidement mes vêtements contre d'autres plus appropriés, et me voilà en route pour mon premier safari. En chemin, je me mets au courant des nouvelles et j'expose à Papouh (mon guide) mon souhait de rechercher les jeunes tigres. Il me dirige donc vers le territoire de Jhurjhura et de ses 3 petits de 6 mois.

Nous arrivons à Rhajbera dam pour nous poster à l'affût près du plan d'eau. Au bout de 2 heures d'attente, la pluie se met à tomber. (note: le mois de mai est le mois le plus chaud en Inde et théoriquement il ne pleut pas. C'est tout l'objet de ma venue à cette période: profiter de la chaleur écrasante ( 43° à 46°) et surprendre les tigres aux points d'eau)

Alors que la pluie se mit à tomber de plus belle, je me dis que jamais je ne verrais un tigre sous la pluie. Pour moi, le safari était...à l'eau. Et pourtant....

Jhurjhura, la tigresse apparait. Elle longe l'eau du lac et se met à y boire. Papouh m'exhorte à prendre des photos: "il n'y a pas de photos de tigres sous la pluie, prends des photos". Inutile de le dire, mon fidèle boitier tout ruissellant était déjà en train de travailler. (vive la tropicalisation des boitiers pros)

Au bout d'un moment, un jeune arrive, puis un second. Après quelques calins à la mère, ils se mettent à jouer, sur terre et dans l'eau.

De retour au lodge avec 700 clichés, je me dis que je pouvais repartir en France (!).

Mais les 9 jours qui suivirent ne ressemblèrent pas au premier. Pluie quasi quotidienne. Cette fois, ayant la fraicheur dans la forêt et les cavernes, les tigres furent invisibles. Mon moral en pris un coup. J'ai juste pu voir Shuki Pathia, rapidement. Et les jeunes de Mirchani, très loin dans la forêt qui couvre leur territoire.

Le dimanche 25, une terrible nouvelle. Le matin, la tigresse Mirchani venait de tuer un jeune villageois dans le parc. Plus tard, les circonstances furent un peu éclaircies. Une dizaine de villageois sont rentrés dans le parc pour collecter des feuilles. Ils se sont retrouvés à encercler la tigresse (?) qui a sauté sur un des villageois pour s'enfuir.

Sukhi Pathia attaque notre jeep.

Le lendemain, lundi 26 mai sera pour moi un jour mémorable. Je n'aurai jamais imaginé vivre ce qu'il suit.

Souvent des amis m'ont demandé si je n'avais pas peur d'approcher ces animaux si dangereux. Je leur répondais qu'il était plus probable que je meure dans un accident de la route que d'une attaque de tigre.

Nous étions dans le parc depuis 5h30. Dans la jeep, mon driver Papouh, le guide Lala et moi-même. A 6h50, nous repérons Sukhi Pathia dans une portion de forêt de sals, assez loin de Sehra medow. Le soleil, enfin revenu, était superbe. La tigresse marchait en parallèle à celui-çi, tout en obliquant en sa direction; l'occasion était trop belle, idéale. La tigresse allait couper le chemin. Elle aurait le soleil dans ses beaux yeux dorés.

Papouh fit demi-tour et recula en parallèle au félin, pour me donner les conditions idéales. Après l'avoir suivi ainsi quelques secondes, nous nous sommes retrouvés sur sa trajectoire à 20 m d'elle, face à face. C'est alors qu'elle s'est arrêtée et a grimacé en montrant ses crocs, puis elle a lancé sa charge. Dès qu'il a vu le rictus menaçant, Papouha compris. Le tigre allait nous attaquer.
Par bonheur, Papouh pressa l'accélérateur à fond.

La tigresse venait de s'élancer. Son premier bond était différent de ce que j'aurais imaginé. Le félin avait les 4 membres comme un crabe, la queue toute en l'air. Il semblait gonflé tellement sa musculature décuplait sa puissance. Son deuxième bond rassembla ses membres et la tigresse s'étendit comme une flèche. Sa gueule menaçante découvrait des crocs gigantesques. Elle était furieuse. Il n'y eu pas de troisième bond. Il nous aurait été fatal.

Ayant surement estimé que nous nous soumettions, elle stoppa net à 4m et marcha quelques secondes pour couper ensuite le chemin derrière la jeep. A 2 reprises elle nous remontra ses crocs, pour bien nous signifier que nous devions comprendre la leçon.

C'est ensuite ses 2 jeunes (2 ans) qui nous passèrent devant en montrant leurs crocs.
Et le dernier sauta au-dessus du chemin pour le traverser !...

Concernant cette attaque, qui a duré quelques secondes, je peux dire que les bonds des tigres font bien les 10 m de long qu'indiquent les scientifiques. Lorsqu'elle a bondit/courru en extension à coté de la jeep, elle faisait la longueur de celle-çi.

Lorsque tout fut fini, la question vint sur LA photo. Je n'ai rien pu faire avec un 400 entre les mains, le véhicule était trop malmené, impossible de cadrer, ...Lala, le guide avait mon 70/200mm, mais il a été cloué... Mais le principal est que nous soyons tous vivants.

Ne pas faire la photo m'a permit de vivre à plein cette formidable expérience.

Après, c'était étrange. Je ressentais un profond bonheur, très difficile à définir (avoir vu et être vivant, surement). Etait-ce de la peur mélangée au soulagement et au bonheur d'une telle expérience absolument unique ?

Une leçon également. Un rappel de la nature à la respecter et garder en mémoire que ces beaux chats peuvent en une fraction de secondes se changer en redoutables tueurs.

Depuis ce jour, le soleil et les observations sont revenues.

J'ai ainsi vu, entre autre, un tigre nager dans une rivière.

Et aperçus dans les hautes herbes, Dithoo et Chakradara, faire des petits, tard le soir.

Mais évidemment, pour moi, à présent, tout est très différent. Le sentiment d'avoir franchi une étape dans ma recherche pour mieux connaitre le tigre.


Voir Galerie photo n° 6


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